Mon duo de la semaine : Geoffroy Roux de Bezieux, patron du Medef, et Charles Beigbeder, entrepreneur (notamment fondateur de Poweo et du fonds Audacia, qui sait surfer sur les dispositifs fiscaux pour offrir des rendements attractifs). Le premier dans le Figaro, le second dans Les Echos. Chacun prêchant pour sa paroisse.
Geoffroy, subitement, aime le bon et gentil Etat, celui qui doit soutenir les investissements, celui qui doit baisser les impôts de production pour que le “made in France” soit compétitif, celui qui doit soutenir la consommation. Le bon et gentil Etat pour relancer la machine, relancer l’activité, relancer les recettes qui viendront effacer cette brutasse de dette publique, salvatrice aujourd’hui et donc insoutenable demain. Psalmodie classique.
Charles, lui aussi, craint la méchante dette : publique et privée. Il faut vite retrouver un potentiel de croissance pour effacer la dette publique, il faut un rebond. Et ce rebond doit échapper à la dette privée, trop risquée pour les entreprises. La solution : augmenter les économies d’impôts, sur l’Impôt sur la Fortune Immobilière ou sur le Revenu, afin de flécher les 3 500 milliards d’euros d’épargne détenue par les foyers français vers les fonds propres des entreprises, au travers des acteurs professionnels du capital-investissement qui savent offrir des rendements de 10% par an. Ils savent car ils ont du “discernement”. Que les deux tiers des sommes investies par le capital-investissement proviennent d’opérations de LBO mobilisant une dette 3 à 6 fois supérieure au montant de capital n’effraie pas Charles. La dette privée fait peur, mais pas quand elle est cachée.
Geoffroy et Charles, les deux mâchoires de l’étau néolibéral, broyant méthodiquement la société dans une mobilisation générale de tout ce qui peut contribuer à la croissance des profits, ceux des entreprises et du capital, c’est-à-dire du capital. Sans souveraineté monétaire (qui ne suffirait pas), pas de salut : on mobilise l’aide budgétaire de l’Etat pour les entreprises tout en réduisant la contribution de ces dernières aux ressources fiscales, on va chercher le complément de financement directement auprès des épargnants, en réduisant là aussi leur contribution aux ressources fiscales. On sait ce qui en résulte : austérité, inégalités, et tutti quanti.
Mais surtout, au nom de quoi ? De la relance, du rebond. Tous les Charles et Geoffroy sont tragiques. Au début du mois de mars, dans les milieux d’affaires parisiens, on parlait d’une petite grippette qui durerait 3 semaines. Le confinement était ensuite perçu comme un moyen d’enfin dégager du temps pour se payer la cloche avec des clients… Des visionnaires, je vous dis. Mais enfin, on n’est plus au mois de mars. Je ne sais pas derrière quel menhir ou sous quel dolmen bretons les Charles et Geoffroy se sont gentiment mis à l’abri pour nous ressortir leur vieille rengaine qui tourne nausée. Ont-ils vraiment envie de revivre de tels épisodes où chacun se tient à deux mètres de son voisin avec un masque sur la face ? Où ceux qui vont bosser ont peur ? Où les soignantes et soignants s’échinent à sauver des vies au bruit de casseroles et d’applaudissements qui me sont devenus insupportables ? Où des gens vivent confinés pendant des semaines à court d’argent et dans des espaces réduits ? Où des gens meurent ?
Charles et Geoffroy sont inconséquents d’inconscience. Relance et rebond. Face au précipice. C’est courageux. Ou suicidaire. J’ai peine à redire les choses déjà dites : urgence écologique, sociale etc. J’ai l’impression d’être face à des têtes de pioche qui ne veulent pas entendre, qui ne le peuvent sans doute pas. Charles et Geoffroy sont comme leurs idées, en plein baroud d’honneur. Relance et rebond. Tout le monde en parle, par ricochet. Je discutais la semaine passée avec un associé d’un grand cabinet de conseil parisien, qui me livrait : “C’est désespérant. On a une occasion unique de réfléchir à de grandes transformations. Et personne ne le fait. C’est pareil chez nous, au niveau du cabinet. On attend tous le rebond, et on cherche à anticiper au mieux la reprise, pour en tirer le meilleur profit.”
Relance et rebond. Ils doivent bien se marrer, Charles et Geoffroy, devant les multiples appels pour construire le “jour d’après”. Ils doivent bien se marrer car finalement aucun ne les menace, pas même celui d’Attac – GreenPeace – CGT – Alternatiba… Ils demandent quand même la suspension des bonus des PDG. Je me dis que Charles et Geoffroy doivent en effet trembler devant ces appels qui ne sont au fond qu’une tentative de se rassembler. On va dire que c’est une première étape.
Relance et rebond. Il va quand même falloir leur faire peur, à Geoffroy et Charles. Leur chatouiller le bout du nez et des fesses. Leur dire que celui qui écrit n’est pas un moustachu gauchiste. Que celui qui écrit s’est déjà retrouvé en petit comité avec Geoffroy. Que celui qui écrit s’est déjà retrouvé en “bataille” de coussins avec le frère du second dans un bar huppé de Saint-Germain-des-Prés. Relance et rebond. Ca sent l’enchaînement. Droite, gauche. Direct. Uppercut. Goudron et plumes.
2 réponses
Ma femme est DG de CroissancePlus, dont GRB était le Président il y a quelques années, et je vois bien la question de ces entrepreneurs à la conscience « relative ».
Ils n’ont pas de cap.
Direct : le collectif Infiltrés a le mérite d’exister. Maintenant c’est trop introspectif.
Fini les séances de psy, place à l’action. C’est maintenant que ça se joue, pour préparer la sortie de crise sanitaire.
Nous ne sommes pas des entrepreneurs, nous sommes des cadres. La place qui offre certainement la meilleure vision entre l’actionnariat et le salariat.
Qui veut agir ?
Oui !
Comment ?