Cet article reprend notre tribune diffusée sur le site de l’Humanité et sur le club de Mediapart
Le soutien aux gilets jaunes est massif en France, mais semble devoir rester minoritaire chez les cadres supérieurs, cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron.
Issus de grandes écoles, cadres dans le privé, hauts-fonctionnaires, nous sommes pourtant un certain nombre à soutenir ce mouvement, à en parler entre nous, à participer à des manifestations, même si nous constatons à chaque fois notre isolement parmi nos proches ou collègues. C’était déjà le cas durant les grèves SNCF l’an dernier. Cela l’a été encore davantage à l’occasion de l’élection de Macron. C’est en fait le cas depuis des dizaines d’années.
Les clivages ne sont pas cependant figés en fonction des distributions sociales. Le site Internet arrêt sur images reprenait une récente étude IFOP [1] montrant ainsi que 29 % des cadres et professions intellectuelles supérieures soutiendraient le mouvement des gilets jaunes.
29 % ? Ce n’est pas rien et c’est même déjà beaucoup ! Mais où sont donc ces 29 % ? Où êtes-vous ?
Autour de nous, en particulier dans nos milieux professionnels, ne s’expriment en général que ceux pour qui la politique actuelle est sinon la meilleure du moins, et de toute évidence selon eux, la seule possible. Au nom du « sérieux », bien de nos collègues se cramponnent donc au monde comme il va, avec son cortège de misères, d’injustices et dans l’attente du désastre écologique. Au nom de la « raison », ils restent sourds à l’explosion d’une colère accumulée depuis le tournant libéral des années 80 et ils n’en voient que la violence. Ils ne perçoivent que folie et délire là où se laisse pourtant apercevoir une réalité qui vient fracturer l’ordre de pensée dans lequel ils ont été éduqués, mais qui est désormais à bout de souffle.
Comment ne pas réaliser ce que l’on sait pourtant ? Comment ne pas réaliser qu’une réduction d’APL de 5 euros, une hausse du prix du litre d’essence ou un gel de pensions, de points d’indice, disposent des milliers de citoyens à affronter des fins de mois impossibles — car c’est pour eux surtout que, le plus souvent, il n’y a pas d’alternative ?
Ces questions que posent, que crient, les gilets jaunes depuis désormais plus de 3 semaines, beaucoup autour de nous ne les entendent pas. Ils ne se rendent plus compte à quel point il est devenu insupportable que l’Europe et la mondialisation ne soient invoquées que pour justifier que l’on donne toujours plus à ceux qui ont déjà tout, sous peine de les voir fuir avec leurs capitaux, et pour précariser tous les autres, sous peine que leurs emplois s’en aillent, délocalisés.
Il nous semble pourtant que les gens n’ont pas besoin de pédagogie libérale, mais de salaires et de pensions de retraites décents, d’emplois avec un minimum de protection, d’un accès gratuit et complet à la santé et à l’éducation, de services publics et de commerces de proximité, de produits agricoles qui ne bousillent pas leur santé.
Coupés du monde réel, vivant comme des expatriés dans leur propre pays, beaucoup parmi nos proches, nos collègues sont perdus face à ce mouvement inédit, et qu’ils commencent à redouter. Ils ont peur. Peur parfois pour eux, mais surtout effrayés que le système dans lequel ils ont toujours vécu soit emporté par le collapse de la macronie.
Le vernis qui protégeait tous les gouvernements libéraux qui se sont succédé est en train de craquer. Les discours sur l’Europe sociale et la finance régulée, les éléments de langage sur la transition écologique et la mondialisation heureuse sont inopérants. Chacun commence à constater que le seul résultat tangible est, pour beaucoup, une vie plus précaire dans une société toujours plus inégalitaire.
Aujourd’hui, le jusqu’au-boutisme présidentiel a transformé la résignation en colère. Puis, dans le mouvement les individus ont découvert qu’ils n’étaient pas seuls dans leur situation et par la force du nombre se sont mis à voir plus large, plus loin, et à poser des problèmes en termes directement politiques. En trois semaines nous sommes passés d’un rejet de la taxe sur les carburants à la revendication d’une augmentation du SMIC, la restauration des services publics, la retraite à 60 ans et même à une refonte des institutions pour plus de démocratie. Gageons que ce n’est que le début, que les revendications de pouvoir d’achat déboucheront vers une volonté de remettre l’économie dans le champ du contrôle démocratique, pour ne plus être esclaves d’un système capitaliste qui décide de ce qui est produit, où, comment et par qui.
Mais où sont les 29 % ? Ceux qui comme nous, souvent, se taisent et n’en pensent pas moins. Et qu’allons-nous faire dans les prochaines semaines, les prochains mois ? N’est-ce pas le moment pour nous aussi de sortir de la résignation et du fatalisme, de nous exprimer et de cesser de consentir. N’est-il pas temps d’apporter nos compétences, nos réseaux, notre énergie pour éviter que, comme dans beaucoup de pays, cette colère et ce rejet du libéralisme débouchent sur l’arrivée au pouvoir de partis d’extrême droite ? Des partis qui souvent s’en prennent aux plus faibles et cherchent des boucs émissaires, sans jamais remettre en cause les structures capitalistes néolibérales à la source de toutes les difficultés. Le score du FN en 2017 montre que le risque existe en France aussi. Mais de notre côté nous voulons croire qu’en notre pays l’idéal républicain d’égalité a quelque chose d’unique et d’insurpassable. Nous voulons œuvrer pour que ces revendications de simple justice trouvent des débouchés politiques à gauche ou dans des configurations nouvelles à inventer, mais toujours en cherchant à intégrer l’ensemble de la population.
Nous sommes dans les 29 %, infiltrés en macronie. Nous faisons partie de l’« élite » qu’ils croyaient acquise à leur cause. Ils se sont trompés. Nous n’acceptons plus ces politiques désastreuses qui nous conduisent dans le mur. Mur social aujourd’hui, mur écologique demain.
Le chantier est immense, on ne sortira pas facilement de décennies de réformes libérales. L’expérience grecque a montré que même porté par son peuple, un gouvernement qui voudrait renverser la table devra arriver solidement armé pour pousser son agenda et affronter marchés et technocrates qui vendront chèrement leur peau. Car il s’agira de remettre en question les structures fondamentales qui privent nos gouvernements de marges de manœuvre et notre peuple de souveraineté : la construction européenne, la mondialisation, la financiarisation de l’économie, la marchandisation et le consumérisme. Et l’on ne pourra pas se contenter de viser un retour aux trente glorieuses ou au bon vieux keynésianisme. Les défis environnementaux et climatiques obligent à imaginer d’autres voies, à explorer de nouveaux territoires.
Nous nous engageons dans ce combat pour une autre société, un autre horizon, et nous encourageons tous ceux qui le peuvent à s’engager aussi, selon leurs envies, leurs moyens, leurs aptitudes. Nous sommes dans les 29 %, et nous sentons bien que ce n’est qu’un début. Ce ne doit être qu’un début.
4 réponses
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Je fais aussi partie de ceux, heureusement de plus en plus nombreux, qui souhaitent rafraîchir la démocratie par des votes plus intelligents, constructifs et représentatifs que permettra la méthode du Jugement Majoritaire.
Applicable à toute consultation, référendum, élections, décisions associatives… cf. Mieuxvoter.fr
Imposons un nouveau de mode de scrutin à l’occasion des débats actuels !
Salut Nicolas, désolé pour le délai de réponse.
Le vote majoritaire à deux tours souffre clairement de nombreux défauts, comme en témoignent à chaque élection les stratégies électorales et les mots d’ordre de vote utile ou barrage. Malheureusement, nous savons depuis les théorèmes d’Arrow qu’il n’en existe aucun de parfait, même si beaucoup d’entre eux remplissent davantage de conditions d’acceptabilité que les systèmes de vote actuels. C’est donc clairement un élément à faire rentrer dans les discussions. Merci pour ton message.
Là. Nous sommes là.
A faire de confortables économies en ces temps de confinement, quand d’autres essayent de survivre avec 85% d’un SMIC voire moins.
A valider notre déclaration de revenus avec déductions.
A s’amuser dans le jardin (grand) lorsque d’autres n’en on pas.
Et surveiller d’un oeil les devoirs de nos filles premières de classe.
Et le piano. Bien sûr, le piano.
Nous sommes là, malheureusement, dépités de voir que nos votes depuis des années n’ont pas été entendus et que l’utilité d’un revenu universel (pour ne prendre que ce sujet) n’est plus à démontrer.
Il y aurait tant d’autres choses à dire.
Vous lire me rassure, je me sens moins seule dans ce statut de favorisés.
ash suspendue avant le 15! 0 salaire, 0 chomage, 0 droit de travailler ailleurs pendant plusieurs mois! un ado de 14 ans.
Certes, je ne suis pas favorisée mais ma plus grande liberté sera celle de n’avoir pas cédé à leur chantage ignoble! On peut être riche, très riche et enfermé dans une pseudo liberté et pauvre mais libre! C’est au nom de cette liberté fondamentale que je fais le choix de ne pas être vaccinée ainsi que mon fils. Je n’ai plus peur de finir à la rue …….. la vie m’offrira une autre place. Heureuse de constater qu’il y dans la caste aisée des gens intelligents! Prenons soin de nous.