Un témoignage qui nous vient du monde merveilleux du conseil en conduite du changement.
Je découvre à l’occasion de la rédaction d’une proposition commerciale pour un « plan de transformation » la méthode de « conduite du changement » de Roland Berger. J’y vois l’appropriation par les détenteurs des moyens de production d’une connaissance plus approfondie du fonctionnement cognitif de l’homme et de la société mise au service d’une aliénation d’autant plus grande des travailleurs qu’elle contribue faussement au « développement personnel » des salariés de l’entreprise.
Le plus gros commence dès le début de la présentation : telle que comprise par le monde du conseil en stratégie en vue d’une application efficace et pragmatique, l’analyse des sciences cognitives montre que ce qui est important, c’est « le sens ». Conclusions : « étape 1 : s’il n’y a pas de sens, créez-en un ! ; étape 2 : si le sens ne convient pas, changez-le ! ; étape 3 : si le sens est le bon, allez-y ! ». L’entreprise a compris qu’elle devait avoir un sens pour ses salariés, résultat : elle en commande un sur Amazon. Peu importe qu’il en ait ou pas, de sens, ce sens, du moment qu’il permet de motiver les salariés. Dans les jeunes pousses qui ont déjà sur-intégré ce principe, le sens c’est de « disrupter » n’importe quel secteur pour « mieux servir le client ». Le « sens », comme tout, devient commodité tellement il tend à être standardisé, tellement il fait l’objet d’une demande de la part des entreprises.
Pourquoi le sens est-il si important ? Parce qu’avec la tertiarisation, la spécialisation par la mondialisation et la machinisation, ça n’est plus la force physique du travailleur qu’il faut exploiter, mais sa matière grise. L’aliénation passait par l’accaparement de la plus-value de la force physique, désormais, elle est plus profonde et plus insidieuse car elle passe par l’accaparement de la force mentale. Pour capter des gens éduqués sans trop les payer, c’est-à-dire, capter une plus grande part de leur valeur, il faut réussir à générer la même chose que pour des professions à vocation (médecins, militaires, etc.) : motiver. Le « sens » a ce but de mettre en mouvement les individus. L’entreprise a compris que pour plus tirer profit du travail de leurs salariés, il faut accepter d’investir dans leur développement. Cette progression est à double-tranchant car c’est paradoxalement en donnant plus aux salariés qu’on en tire plus d’eux ; c’est donc un processus « gagnant-gagnant », mais en réalité, proportionnellement plus gagnant pour l’entreprise. Pour ce faire, on responsabilise, on « incentivise », on estompe les relations hiérarchiques pour permettre le « développement personnel » du salarié, mais sans lui en donner les fruits. La perversion de ce mécanisme réside dans le fait qu’on responsabilise les individus – ils choisissent les moyens et les méthodes pour atteindre un objectif, c’est ce qui est présenté comme les rendant libres – mais qu’on ne leur donne pas la liberté des objectifs : ils portent ainsi toute la culpabilité de la non-réussite, sans la joie de la vraie liberté.
4 réponses
Travailler pour ces cabinets de conseil est une honte pour nous autres cadres-supérieurs crétins surdiplômés. Contre quoi, vénalement, contre de la menue monnaie, en quantité dérisoire face à la haute finance, monnaie qui se déprécie et quantité qui permet à peine l’accès à un logement décent. Et cela continue l’esbrouffe à produire du vent dans des conditions proches de la torture psychique. La même chose vaut pour l’ensemble des grands groupes industriels. Et refuser ces conditions de travail là c’est direction le recadrage par le pôle emploi. La misère psychologique, l’indigence et l’indignité s’institutionalisent. Nous sommes des bêtes de somme, bêtes à manger du foin.
Juste une chose : https://fr.wikipedia.org/wiki/Libres_d%27ob%C3%A9ir
un très bon livre, pile dans le thème.
La stratégie des grandes entreprises de mettre du développement personnel dans les formations pour cadres est presque drôle tellement elle est cynique. Ça mériterait une parodie. Communication transactionnelle, team building, process com, coaching, tout cela avec le discours prétendu bienveillant du genre « finalement, pourquoi on est là, à travailler dans cette entreprise ? ». Il faudrait créer du sens pour inspirer ses collaborateurs, il faudrait puiser la motivation dans des objectifs spirituels, alors que l’objectif de l’entreprise ne s’embarrasse pas de ces arguties: le profit. Même la satisfaction du client est une blague, nous sommes tous lucides sur le contraste frappant qui existe entre les informations publiques et les informations internes d’une multinationale, c’est intégré, métabolisé, devenu la norme: une escroquerie qui se résume à maximiser les marges, à vendre des produits et des services très performants, mais à livrer en réalité le plus médiocre possible, à ne pas licencier mais à signer des ruptures conventionnelles, à payer les fournisseurs le plus tard possible et se faire payer des clients le plus tôt possible. etc… Une fois qu’on s’est assis sur sa conscience, il faudrait s’approprier les intérêts de l’entreprise comme si c’était les nôtres. Croire à cette émulation quand on est salarié, c’est être vraiment naïf, non ? A moins d’être vraiment dans le top management, avec quelques stock options on est avant tout salarié, pas actionnaire. Et il faudrait se faire le gourou de son équipe, la motiver comme une équipe de foot, lui promettre la victoire par la collaboration heureuse.
« Create it, adjust it, activate it ! » Ils croient parler du sens ou de la motivation, ils parlent en réalité de la servitude.
J’ai travaillé 35 ans dans un labo. pharmaceutique où j’ai pas mal investit de temps les premières années, puis le métier (informatique) s’est transformé, on s’est retrouvé dans des voies de garage, et l’entreprise (2000 personnes sur 2 sites) a progressivement fait des plans de cessation d’activité. J’étais en 2004 dans celui de 150 personnes, puis un site a fermé, laissant 3-4 hectares de friches industrielles, et récemment le deuxième site a été vendu. En gros 40 ans d’existence, de discours motivants dans des grandes messes patronales.
Le capitalisme c’est la des-humanisation au profit d’un actionnaire (qui peut être un salarié qui capitalise sa retraite).
https://lejustenecessaire.wordpress.com/2022/04/06/le-neoliberalisme-detruit-lecologie-pour-leconomie/
Tant qu’on rémunèrera l’argent et le capital, on creusera toujours plus le gouffre des inégalités, et la planète pour faire sa rémunération, et on mettra en danger l’humanité qui est au fond de gouffre.