Premières de corvée contre premiers de cordée
Le 13 mars, le Président Macron déclarait son attachement à la “santé gratuite sans condition de revenu” et aux “services qui doivent être placés en dehors des lois du marché”. Dix jours plus tard, il enfonçait le clou en nous promettant un “plan massif d’investissement” pour l’hôpital. Quel choc !
Pourtant un tel renversement idéologique ne devrait plus nous surprendre. Cela fait maintenant 2 ans que notre collectif, les infiltrés, enregistre les signes d’une élite qui fait peu à peu défection au modèle néolibéral dominant. Nous avons publié les témoignages de jeunes polytechniciens, de cadres retraités du privé, de hauts fonctionnaires, de banquiers, qui rêvent de renverser le système pour un monde plus juste, solidaire et respectueux des écosystèmes. Jour après jour, nous observons une idéologie qui s’effondre de l’intérieur, par la démission de celles et ceux qui devraient être ses plus fervents soutiens.
Mais il faut reconnaître que voir le plus haut niveau de l’Etat basculer nous a pris de court.
Pour autant que l’on s’en souvienne, le Président réservait son admiration aux premiers de cordée, aux jeunes rêvant de devenir milliardaires, et traitait avec un certain mépris le personnel soignant dont la seule ambition était de faire son métier du mieux possible. Et encore, s’il n’y avait eu que du mépris, mais il y eut aussi les coups.
Les coups budgétaires d’abord. Car derrière les chiffres de comptabilité, ce sont de véritables coups qui sont portés, année après année : budgets insuffisants, suppressions de postes, de lits, fermeture de services… Des coups qui épuisent les corps de ces soldats du front, font craquer mentalement, et conduisent à de trop nombreux suicides.
Les coups physiques ensuite.
À force de se tuer, littéralement, à la tâche, les armées soignantes se sont mises en grève, en restant à leur poste. Conscience professionnelle, continuité du service public, leur grève n’a pas gêné grand monde. Le pouvoir s’en cognait. Alors elles ont démissionné en masse. Le Président leur a répondu qu’il n’y avait pas d’argent magique. Elles ont ensuite décidé de descendre dans la rue. Elles n’ont rien cassé, juste crié, un peu : « Du fric, du fric pour l’hôpital public. » Pas pour elles. Pour nous. Pour l’hôpital qui nous soigne. Et elles se sont fait tabasser. À coups de matraques. Indignité d’un pouvoir qui savait qu’on pouvait taper, semaine après semaine, et que ça marchait pour faire reculer.
Des coups amenés à se poursuivre au-delà de leur vie professionnelle puisqu’une réforme en profondeur du système de retraites s’attaquait particulièrement aux pensions du service public, et donc à celles de nos soignantes et soignants. Et alors que le virus se répandait et que les voix se levaient pour demander au gouvernement d’agir (par exemple suspendre des élections), celui-ci activait l’article 49.3, au détour d’un conseil des ministres censé se consacrer à l’épidémie, pour détruire le système des retraites. Pardon, pour le rendre plus “juste”.
Nous voilà donc dans une situation où, après avoir coupé, supprimé, frappé même, M. Macron demande à ces gens méprisés de nous sauver, et appelle même à les applaudir. Sans excuse. Sans gêne. Sans honte.
Mais quand même, on s’accroche: il y a ce discours ! Qui promet des moyens pour l’hôpital ! Même si pour l’heure, nous manquons de tout : de lits, de respirateurs, de masques, de tests, de personnel.
On s’attend alors à ce que soient mis à contribution les premiers de cordée, eux qui attendent bien à l’abri la fin de la crise. Mais aucun des cadeaux fiscaux octroyés depuis le début du quinquennat n’est remis en question. Les dividendes versés en pleine pandémie devaient même battre des records, avant que la pression politique ne les oblige à les limiter temporairement. De son côté, le ministre Darmanin lance un grand appel au don, une sorte de cagnotte Leetchi géante. A bout de souffle, le CHU de Lille lance une campagne de financement participatif via la plateforme KissKissBankBank. Ainsi leur modernité consiste finalement à faire renaître les hospices de l’époque féodale, ces lieux où les offrandes des puissants permettaient de porter secours aux miséreux.
Et ce grand plan d’investissement pour l’hôpital alors ? Mediapart lâche le morceau en révélant une note réalisée par la Caisse des Dépôts et Consignations à la demande du gouvernement. Il s’agit en fait de poursuivre la privatisation de l’hôpital, ni plus ni moins. L’ARS du Grand Est continuait même de défendre les suppressions de postes pour l’hôpital de Nancy, au nom de la “modernisation”, avant que le tollé général ne les oblige pour l’instant à accorder un répit. Comme toujours depuis 40 ans, si leurs réformes n’ont pas fonctionné, ce n’est pas qu’elles étaient mauvaises, c’est qu’elles n’ont pas été menées à leur terme.
Pourtant, en suivant par exemple les préconisations du professeur Grimaldi, on aurait pu repartir de ce qui a fait la grandeur de notre système de santé. Celui d’avant le gel de l’augmentation du taux de cotisation, avant la fin de la sanctuarisation du budget de la sécurité sociale, avant la tarification à l’acte, avant que l’idéologie néolibérale ne vienne réaliser son travail de sape. Reconstruire ce qui a été défait. Et aller plus loin, vers la sécu 100% et la suppression des assurances complémentaires, et pourquoi pas la nationalisation des laboratoires pharmaceutiques dont nos cotisations financent les juteux profits depuis trop longtemps. La santé gratuite pour tous, en dehors des lois du marché, tout simplement.
Une nouvelle fois, les actes contredisent les discours. Décrédibilisés, ils se radicalisent. Ils nous chantent les louanges d’un monde d’après, mais nous imposeront à coups de matraques et d’applis de traçage un dernier tour de manège du capitalisme avant la prochaine crise. N’attendons pas de ceux qui sont à l’origine des problèmes qu’ils nous proposent des solutions, l’expérience de 2008 nous a vaccinés. C’est contre eux que nous devons construire l’avenir.