Je râlais donc encore au sujet des mises en garde à vue désormais journalières de lycéens impliqués dans des mouvements de blocus. Des CRS en arme stationnaient dans le sanctuaire scolaire dans une relative apathie générale. À la décharge de tout le monde, après les éborgnements de gilets jaunes, les arrestations préventives, les nasses et les gazages, on s’est habitué à voir des forces de l’ordre suréquipées partout, tout le temps. Aujourd’hui, des élèves lambda vont en taule ou sont menacés de 0 au bac, c’est dans l’ordre des choses. En cause donc ici (mais pas seulement), les E3C, Épreuves Communes de Contrôle Continu. Poésie des sigles, l’histoire d’un malentendu.
Le baccalauréat était une institution plus vieille que la Sécurité Sociale, donc coupable. Coupable de l’échec de nos jeunes en licence, des vacances d’été trop longues, coupable de provoquer du stress : 6 à 8 épreuves couperet en une semaine, coupable de lourdeur, trop cher, coupable simplement de vieillesse. Pas agile en tout cas. Or ce gouvernement n’aime pas le vieux. Ni les vieux. Encore moins les futurs vieux, surtout les futurs vieux profs. Cela dit, il ne semble pas beaucoup aimer les jeunes non plus. Il fallait donc qu’une tête d’œuf macroniste applique au bac son coup de ripolin managérial. Cela devait passer par moins d’épreuves finales : quatre, dont un « grand oral », ce qui serait compensé par une part de contrôle continu : 40 % de la note finale du bac. Le contrôle continu, ce sont ces notes que les profs fabriquent depuis des lustres, décidant de la poursuite d’étude de vos enfants, qui ne leur causent on le sait bien aucun stress et que vous découvrez sur leur bulletin scolaire.
On avait déjà perçu le début d’une « grogne » des profs lors du bac de juillet dernier, ce borborygme que nous nous plaisons à sourdre à chaque réforme. Mais en se concentrant bien, on pouvait distinguer parfois des mots comme : usine à gaz, bordel, impréparation, amateurisme, bac local au rabais, injustice sociale, voire même pour les collègues les plus remontés, ceux qui avaient séquestré des copies : foutage de gueule.
Avec 40 % de contrôle continu, il n’était pas nécessaire d’avoir lu Bourdieu pour comprendre que c’était la fin du caractère national du bac. Tous les bulletins ne se valent pas selon l’établissement d’où les élèves proviennent. Nos recruteurs en classes préparatoires en savent quelque chose. Cela, même nos élites dirigeantes ont réussi à l’entendre. Elles ont donc rapiécé leur réforme avec un dispositif d’épreuves écrites, les E3C, qui n’était pas prévu au départ. Ainsi, les 40 % de contrôle continu se répartiraient en : 30 % d’E3C + 10 % de notes de bulletin.
Les E3C consistent en trois sessions d’épreuves écrites : une session en classe de Première à mi-année (janvier/février), une en fin d’année (avril/mai) et une en Terminale, que les élèves passent sur des sujets établis de manière nationale. Mais toute l’agilité réside en ceci : ces sujets, tirés de banques de sujets nationales [1] validées par le corps d’inspection, sont choisis par les professeurs de l’établissement de l’élève, transmis à la hiérarchie, et corrigés par ces mêmes professeurs, à l’exception de celui de l’élève. Ainsi le bac resterait national, tout en étant organisé localement, chaque établissement choisissant pour ses élèves ses sujets dans la banque nationale. La souplesse, l’adaptation, le plan étaient parfaits.
Bien sûr, les notes obtenues aux E3C ne pourraient compter dans le bulletin scolaire, pas de double sanction, il fallait donc insérer ces trois mini-bacs au milieu du calendrier d’évaluations habituelles. Le contrôle continu devenait… permanent, tout en copiant les modalités et la solennité du bac traditionnel (convocations, élèves à 1 par table [2], journées sans cours pour avoir le silence dans les couloirs etc), sans temps de révision à y consacrer, avec le stress afférent pour les élèves.
Quid de l’objectif de préservation du caractère national du bac ? Il n’a pas fallu longtemps pour qu’un chef d’établissement, soucieux de la réussite de ses élèves à ces épreuves, donne des indications précises aux élèves sur le sujet choisi, avec la bénédiction du Ministère. Du reste, aucun professeur ne souhaite voir ses élèves échouer, notamment les plus fragiles qui font des efforts. Comment résister à la tentation de leur donner un coup de pouce, alors que l’on sait qu’ailleurs de tels coups de pouce peuvent être donnés, voire encouragés ? La force du bac original consistait dans le fait que les sujets étaient les mêmes pour tout le monde [3] et surtout inconnus des profs avant l’examen, ce qui modérait sévèrement les tentations de faire des impasses sur les parties exigeantes du programme. On se prend aujourd’hui à imaginer que selon la politique locale de l’établissement ou des considérations marchandes propres à l’enseignement privé, les sujets les plus faciles soient proposés, les corrections adaptées au public en question et les élèves aidés…
L’agilité commandait également que les établissements pussent organiser à la date qui leur siérait ces épreuves, à l’intérieur d’une plage de dates donnée. Les élèves d’aujourd’hui, pas plus bêtes que leurs aînés, n’ont pas mis longtemps à constituer et partager des bases de données précises de sujets déjà tombés au fur et à mesure que les établissements faisaient passer les épreuves [4]. Les élèves qui passaient en fin de session avaient donc à leur disposition la plupart des énoncés alors que ceux en début de session les découvraient. Voilà pour l’égalité républicaine devant l’examen et la prévention du bachotage.
Enfin, venaient les considérations techniques de l’organisation de ces épreuves. Épreuve nationale oblige, pour chaque session, le secrétariat enverrait à chaque élève une convocation écrite. Chaque copie d’élève serait numérisée par le secrétariat à l’aide d’un scanner hyper rapide commandé spécialement pour ça dans chaque établissement, puis chaque prof se connecterait à une plateforme pour accéder en ligne aux scans de son tas de copie dans son bahut, corrigerait et annoterait les copies anonymisées par le biais de l’interface graphique [5] développée spécifiquement pour, même si les copies originales se trouvent physiquement à quelques mètres. Le tout sans aucun moyen supplémentaire pour le secrétariat, payé des clopinettes [6], supprimant des heures de cours à tous les élèves, impactant fortement la liberté pédagogique en fixant des contenus à acquérir à mi-année, sans réflexion sur l’opportunité du coût écologique d’un tel procédé.
Pour résumer, en lieu et place de 6 à 8 épreuves terminale organisées par le SIEC, nos élèves du monde moderne passeront donc pour leur bac simplifié : 3 épreuves terminales, un « grand oral [7] », et trois mini-bacs organisés localement, auxquels s’ajoutent les notes de leur bulletins qui les sanctionnent déjà pour l’accession au supérieur dans le processus de sélection de ParcourSup.
Le ministère s’étonne de cette crispation sur les E3C dont chaque épreuve ne compterait que pour 1,7 % de la note finale au bac. Mais mais… c’est encore pire ! Toute cette débauche de moyens, de travail supplémentaire, de secrétaires sous pression, de concertations et corrections pour ça ?! Le Bac Blanquer, dont les E3C ne sont qu’une des modalités, réussit donc le tour de force de rassembler contre lui toute la chaîne éducative : les élèves, les professeurs (y compris dans les lycées les plus prestigieux), les personnels de direction et même en off les inspecteurs. Aujourd’hui, les personnels de direction déjà excédés par l’impréparation de la réforme du lycée qu’ils ont dû mettre en place à marche forcée réclament simplement la suppression des E3C et leur remplacement par du contrôle continu pur. Les conditions de passage cette année, d’ores et déjà très perturbées [8], laissent entrevoir de nombreux recours en annulation.
Une volonté minimale d’apaisement du ministère aurait permis de trouver la solution évidente de compromis pour cette année qui, sans régler tous les défauts des E3C [9], s’impose à tous depuis le début : annulation de la session de mi-année pour ne conserver que la session de fin d’année décalée après les conseils. Ici comme ailleurs, l’agilité gouvernementale se mue à la moindre contestation en rigidité et répression.
Cette contestation massive était largement prévisible – les alertes n’ont d’ailleurs pas manqué. Certaines erreurs, inhérentes à la mise en service de toute réforme, seront facilement corrigées : la base de données nationale des sujets devrait devenir publique pour les élèves, ce qui effacera les injustices du calendrier. D’autres erreurs sont plus profondes : il faut n’avoir pas mis les pieds dans une classe depuis longtemps pour imaginer qu’on puisse travestir un examen certificatif doté d’une charge symbolique élevée comme le bac en une évaluation formative non stressante permettant à l’élève de tirer parti de ses erreurs et de progresser. Par ailleurs, la passion pour l’évaluation et le contrôle de notre Ministre de l’Éducation Nationale, si elle s’accorde bien avec le néolibéralisme autoritaire actuel, ne manque pas d’interroger. Quid des élèves qui ont un rapport difficile avec leur scolarité en cette période bouillonnante qu’est l’adolescence ? Soumis à un contrôle permanent, ces élèves un peu hors-cadre, ou qui ont simplement besoin d’un peu plus de temps que les autres et dont une grande majorité réussissait tout de même à avoir le bac, se verront sanctionnés au moindre écart de scolarité. Enfin, on s’interroge sur la mise en place d’un dispositif aussi lourd renforçant le contrôle continu alors que justement, le contrôle continu, par le biais de la sélection Parcoursup, avait déjà supplanté en importance le bac pour l’accès aux filières supérieures.
En cassant le système de filières pour passer à un lycée supposément [10] « à la carte », Blanquer devait modifier le bac, qui en est l’aboutissement. Rien n’empêchait de conserver des épreuves terminales et d’épargner le contrôle continu aux premières. En fin de compte, on reste éberlué, sans vraiment comprendre comment cette usine à gaz a pu être proposée. Sans même avoir besoin d’invoquer comme pour la réforme des retraites l’idéologie ou l’objectif budgétaire, on tient dans ce nouveau ratage industriel l’essence de la méthode de gouvernement macroniste : un condensé de jusqu’au-boutisme, d’incompétence et une volonté de transgression puérile (« dépoussiérer le bac »). Ne subsiste une fois le combat passé que cet écœurement d’un travail stérile, d’une liberté pédagogique réduite, de coups reçus pour rien, de montagnes d’énergie déployée pour éviter du stress aux élèves et le burn-out à nos secrétaires. Une perte de sens du boulot pour lequel nous donnons une grosse partie de nous-même quel que soit le salaire : enseigner.
K.
[1] Beaucoup de profs ont été mis à contribution pour constituer ces banques de sujets dans l’urgence, avec d’inévitables erreurs, compte tenu du délai.
[2] Le protocole n’oblige pas à mettre les élèves à 1 par table, contrairement aux recommandations pour le bac classique, mais la triche étant ce qu’elle est, avec un surveillant qui ne connaît pas nécessairement les élèves, c’est la solution logiquement envisagée par n’importe quel chef d’établissement soucieux que cette épreuve rime à quelque chose.
[3] pour une session d’examen donnée : le passage du bac en outre-mer ou dans les centres étrangers ont lieu à des dates différentes du bac métropolitain, donc donnent lieu à des sujets spécifiques.
[4] Le compte instagram de partage compte aujourd’hui plus de 71000 abonnés
[5] Avec tous les avantages du passage au numérique
[6] Un paquet de copies peut prendre une dizaine d’heures de correction quand on les a en papier devant soi et qu’on peut les annoter au stylo. Le paquet de copies E3C est rémunéré 50€. Les banques de sujets ont été accessibles tardivement, rendant caduques tout un tas de sujets en raison de notions non encore étudiées en classe et obligeant à un tri fastidieux pour effectuer le choix collectif. Les consignes de correction ne sont pas homogènes et ont été données tardivement.
[7] dont le contenu, le mode de préparation et les critères d’évaluation restent au mieux flous.
[8] A l’heure actuelle, on parle de 43 % d’établissements ayant subi des perturbations, de mineures (déclenchements d’alarmes incendie) à graves, nécessitant dans un certain nombre de cas l’annulation et le report de l’épreuve.
[9] À l’impossible, nul n’est tenu.
[10] Si le discours ministériel incite les élèves à choisir en première les spécialités qu’ils préfèrent comme dans un self-service et dans lesquelles ils se spécialiseront, celles-ci sont largement imposées par les exigences des formations supérieures auxquelles ils aspirent, dépendantes de leurs résultats scolaires et des « menus » proposés par les établissements pour des contraintes d’emploi du temps. Il va sans dire que ces menus ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux des anciennes filières.
7 réponses
Merci pour cette analyse,
une remarque, les E3C peuvent se passer sans aucune banalisation des cours et avec les autres lycéens dans le bahut. Donc pas forcément de silence ni de repos après une épreuve.
Effectivement, le lycée a toute latitude pour les organiser les E3C comme bon lui semble, il est possible de n’affecter qu’un surveillant par salle et de mettre les élèves côte à côte en classe entière. Dans la pratique, il semble que de nombreux lycées aient adopté des modalités similaires à celles du bac ou des bacs blancs. Par ailleurs, les lycéens qui passent effectivement les E3C ratent de toute façon les cours qui auraient dû avoir lieu en même temps.
K.
Chez nous, tout s est bien passé. Les profs ont rassuré les élèves, malgré le flou parfois. Mais quand les profs respectent les élèves tout se passe bien. Et franchement pas besoin de repos avant et après, vu que les sujets on les a vu pendant l année, et ce n était insurmontable. Que certains profs et parents ont tout fait pour mettre le stress aux élèves et aux enfants, voilà la vérité. Car pour la majorité tout c est bien passé.
On peut même penser qu’un moyen idéal de rassurer l’élève est de lui donner le sujet à l’avance. Par contre les secrétaires devront toujours envoyer les convocations, numériser les copies, les professeurs les corriger et l’élève passer cette épreuve redondante avec les évaluations du contrôle continu.
K.
Très bon article. Sauf que vous préconisez un remède qui serait pire que le mal: rendre accessible aux élèves les sujets susceptibles d’être donnés. Ce serait la porte ouverte à toutes les, tricheries. Il faut que les sujets soient inconnus pour les élèves comme pour les professeurs.
Autre chose: il faut un espace de stockage suffisant pour corriger les copies sur son PC. Ce n’est pas le cas pour le mien, donc je suis obligée de corriger sur place, en dehors de mes heures de cours !
Rendre les sujets inconnus pour professeurs résout le problème de l’égalité territoriale, mais singe l’ancien bac. Cela revient à transformer un gros bac en un bac moyen et trois vrais mini-bacs, avec une organisation nationale identique pour tous les établissements et fixe des objectifs d’acquisition de notions à mi-année de manière encore plus stricte qu’avec la formule actuelle. Dès qu’un prof a un problème de santé, il devient beaucoup plus compliqué de rattraper pour être prêt à mi-année. Cela va à l’encontre en tout cas de l’esprit initial de souplesse des E3C. Effectivement, toutes les contraintes techniques et problèmes d’organisation n’ont pas été mentionnés. On trouve aussi ce billet qui relate de l’intérieur ces problèmes.
https://blogs.mediapart.fr/florence-arie/blog/090220/bouteille-la-mer-d-une-prof-d-anglais-qui-n-y-comprend-plus-rien
Pour le reste, rendre les sujets accessibles n’est qu’un moindre mal pour éviter la rupture d’égalité devant le calendrier, leur multiplicité empêche qu’un élève en traite une fraction importante. Cela n’empêche effectivement pas le bachotage, mais celui-ci existe de toute façon avec les annales qui se constituent d’années en années. Quant à la triche, c’est un autre problème. On pourrait imposer une date commune à tous les établissements également, comme alternative avec banque fermée.
Bref, ma solution préférentielle est bien davantage l’abandon des E3C et du contrôle continu comme modalité du bac et un retour à un unique bloc d’épreuves terminales nationales. Le contrôle continu est déjà lourdement sanctionné par la procédure ParcourSup et est pris en compte lors de l’examen des dossiers pour les élèves tangents, dans le dossier scolaire.
K.
Il serait en effet très dangereux de rendre publique la banque nationale de sujets, ce qui conduirait à un bachotage et à des risques élevés de fraude.