Main tendue au Président

Monsieur le Président,

Je me sens proche de vous. C’est tout à fait surprenant et inattendu, mais je l’avoue : depuis quelques jours, je me sens proche de vous, terriblement proche de vous. Proche essentiellement, ontologiquement. Je le suis certes socialement – même âge, grandes écoles ; j’ai même travaillé dans la finance, y compris avec votre ancien employeur –, mais pourtant je ne le suis radicalement plus intellectuellement et politiquement.

Ce sentiment de proximité fraternelle s’est révélé à moi en lisant un poème écrit par un poilu, décrivant la rencontre avec des prisonniers allemands que lui et ses camarades rêvaient d’étriper mais qui, à leur passage dans les rangs, n’ont plus suscité que chaleur et amour : « Ces durs soldats furent hommes soudain ».

Si l’expérience, nous le savons bien tous deux, n’est pas transmissible, c’est la beauté de notre humanité que de vouloir aider dans sa détresse un homme qui a vécu les mêmes traumatismes que soi. Or, je m’aperçois aujourd’hui que vous vivez ce que j’ai vécu dans ma précédente expérience professionnelle. Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul, je suis là. Et il y en a tant d’autres qui pourraient vous aider. Rassurez-vous, ce n’est pas votre faute.

Moi aussi, je voulais être tout en haut dans le seul système que je connaissais. Moi aussi, je me suis acharné dans la même direction, tapant les murs, rebondissant, repartant, retapant, hermétique à la pression, protégé par ma confiance de premier de la classe (et de cordée) qui m’assurait de « réussir ». Pour moi aussi, tout cela s’est fêlé.

Je vous vois depuis plusieurs mois faire face, ne pas désarmer, garder le cap. Et je vous observe vous fêler petit à petit dans votre univers qui se délite. Ici, un reportage où votre rage transparaît, là des petites sorties où vous tentez de réaffirmer votre autorité. Et puis cette façon de vous accrocher à des proches qui s’enfuient. Et le cadre qui perd son fond : démissions, échecs de vos politiques, vos sorties médiatiques qui tombent à l’eau, votre isolement sur la scène internationale. Un échec de fond, alors que vous appliquez les recettes.

Vous en arrivez donc, et c’est classique, à un moment où vous commencez à vous dérober. Face à une contestation ni droite – ni gauche costumée de jaune, vous envoyez copain Edouard ou soldat Christophe expliquer. Croyez-en mon expérience, il ne faut pas se dérober dans ces cas. Il faut affronter, sinon bientôt vous deviendrez aphone et pétri de peur. Votre visage a d’ailleurs changé. Le stress vous accable, les nuits déjà courtes le deviennent vraiment trop. L’épuisement physique tend la joue.

Contrairement aux idées reçues, c’est toujours par l’épuisement physique que survient le burn-out. Epuisement physique issu de pressions psychologiques qui deviennent insoutenables et dans lesquelles on s’enferme, avec persévérance. On est bon élève, on applique les recettes, on exécute. Ce n’est pas votre faute.

Rassurez-vous, M. Macron, ce n’est pas votre faute. C’est le système que vous prenez en modèle. Vous avez en quelque sorte un mauvais professeur, un mauvais chef. Rassurez-vous, cela arrive à beaucoup de gens, en France et dans le monde. Il est cependant vrai, sans vouloir vous accabler, que vous cumulez les difficultés. Car dans la représentation symbolique d’une vie qui n’est plus vécue directement (je vous laisse relire Guy Debord), vous êtes également votre propre chef, puisque vous êtes Président. Votre vrai chef est le système néolibéral, mais votre chef symbolique, celui que vous voyez et que les gens voient dans notre société du spectacle, c’est vous-même. Ainsi, vous êtes contraint d’adorer celui qui vous fait mal, vous-même. Burn-out et syndrôme de Stockholm, j’avoue que vous me surpassez.

Face à votre souffrance, croyez-en mon expérience, il n’y a qu’une issue : la fuite. Fuyez, Emmanuel, fuyez. Prenez du recul sur ce système qui vous a détruit et rejoignez nous dans la lutte pour le combattre. C’est cela, ou l’effondrement.

2 réponses

  1. Grignon dit :

    Retraitée de la fonction publique, avec une bonne pension.
    Je soutiens mes deux fils et mon frère, gens honnêtes mais victimes de coupes dans leurs budgets,avec de jeunes enfants à l avenir incertain. Que se passera t il quand je ne serai plus là?
    Ras le bol d avoir à retoucher chaque année des prévisions, à faire face
    La révolte des gilets jaunes, je soutiens

  2. berthier alain dit :

    « LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE COMME IDEOLOGIE »
    Ce livre d’Habermas m’a confirmé dans l’idée que nous avions quitté une dimension spirituelle qui n’est que l’intersubjectivité avec la nature, autre façon de parler de dieu et de savoir nous mettre au diapason de l’intelligence qui se cache dans l’univers.
    Aujourd’hui grâce à l’appui de la finance qui ne parie que sur le développement technologique pour augmenter la productivité, nous avons mis hors circuit toute la richesse des relations interpersonnelles pourtant indispensables pour construire un avenir commun.

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