Ensemble pour l’Ecole de la confiance

Monsieur le Ministre avait prévenu : c’est le retour de la confiance, la rentrée des classes sera placée sous cette bannière [1].

Faut que je vous dise quand même, après un bon mois comment tourne le vent.

Ça commence avant la rentrée, tranquillement, par une anecdote de confiance quand l’Inspectrice de circonscription nouvellement nommée refuse à un couple d’enseignants dont je fais partie l’autorisation -pourtant prévue par les textes mais au bon vouloir- d’accompagner leurs enfants entrant pour l’une en petite section de maternelle et pour l’autre en CP. Pas une autorisation d’absence non non, un retard de 25 minutes. 9h00 au lieu de 8h35. Le bon sens quoi. Sachant que, sur le terrain, les collègues se sont déjà organisés pour pallier le retard, pour accueillir comme il se doit les élèves. Les équipes ont dit ok, les enseignants se font confiance, la hiérarchie bredouille «  Pour les besoins du service » « C’est le DASEN – le chef de l’Inspectrice- qui l’a dit. » «  Quelle image renverriez-vous aux parents ? » Arrivé à 9h le jour J, les parents souriants : « Vous accompagniez votre fils en CP ? Je m’en doutais… » La hiérarchie s’était plantée, la confiance avait morflé.

Pourtant notre ministre nous la rabâche la confiance « Pour une école de la confiance », c’est son truc. Alors on s’y est remis : une semaine s’est écoulée, mon Inspectrice me rend une petite visite de courtoisie mais à l’improviste dans ma classe de CP à 12. De REP+. Sympa. « Vous débutez en CP ? » « C’est la première année que j’ai en charge des CP mais quinze ans que j’enseigne » « Et vous utilisez quel(s) manuel(s) ? » « Aucun. » « Vous devriez, surtout pour cette classe si particulière » Là, j’ai bien senti le gros coup de confiance, je me suis tu. Le marché des manuels est en plein essor je crois, j’en feuillette parfois, pas souvent. Encore moins depuis que j’y ai trouvé des erreurs, en maths. Des erreurs pour de vrai, des problèmes mal résolus, des logiques foireuses. Il existe de bons manuels mais il existe surtout des manuels et comme disait Gandhi : « Le manuel ne doit pas remplacer le maître. » L’inspectrice non plus.

Puis j’avoue une certaine lassitude à m’entendre répéter que le CP est la classe de l’apprentissage de la lecture. Je ne crois pas à l’idée de « marche » entre Grande section et CP, tout du moins pour ce domaine précis. J’ai tendance à penser qu’apprendre à lire commence pour les plus chanceux in utero et peut se poursuivre de manière disons linéaire toute la vie. Il faut dire à nos élèves que nous continuons à progresser en lecture, qu’une grande majorité des adultes – M. le Ministre peut être- resterait coi à la lecture de n’importe quelle thèse de sciences. L’enfant de trois ans capable de s’asseoir sur son lit en prenant un livre et en tournant les pages est incontestablement un bien meilleur lecteur que celui qui ne le fait pas.

Bref, c’est l’enseignant qui est compétent, pas le manuel.

Nouvelle semaine, nouvelle confiance : chaque année les enseignants peuvent s’inscrire à des formations hors temps scolaire. Ils doivent même le faire, 18 heures, souvent en 6 fois 3. Et bien cette année la consigne est claire : il faut choisir 18 heures en français ou en maths à l’exclusion de tout autre domaine. Mais ça, c’est de la confiance et puis c’est tout car l’enseignant ne sait pas ce dont il a besoin. Pourtant ces dernières années j’ai eu la chance d’assister à des conférences sur le cinéma, la musique, les arts, la compréhension de textes aussi par des gens extrêmement qualifiés. J’en suis sorti bousculé, enrichi, et cet enrichissement a directement impacté mes élèves, positivement, car je suis devenu plus compétent, plus savant aussi. Cette volonté affichée de restreindre les champs n’est pas un bon signe tant il semble raisonnable de penser que l’on peut apprendre à lire aussi en allant au cinéma, en faisant de la musique ou en peignant.

Bon, les élèves étaient là, il fallait passer à autre chose, eux non plus n’aiment pas être cantonnés. Mais quand même, nouvelle directive, enfin conseil, faudrait pas toucher à la liberté pédagogique : « Faites de la syllabique, à bas la méthode globale. » Grosso modo. En quinze ans, je n’ai croisé aucun enseignant appliquant la méthode globale strictement – mais sans doute existent-ils-. « Oui mais les études montrent que… » C’est l’avantage des études dans ce domaine, il existe souvent une étude et son étude négative, au gré des courants. Un des problèmes me semble-t-il est que chaque enfant apprend à sa façon, à son rythme, sera plutôt sensible à telle méthode. Gageons sans risque que certains enfants apprendraient volontiers avec la méthode globale. D’autres non. Pourquoi dans ce cas ne pas laisser l’enseignant compétent trouver ce qui convient le mieux à sa classe ? Et puis n’y a-t-il pas comme une vision un peu tronquée de l’acte de lire dans cette insistance à parler de graphèmes, de technique ? Il me semble que la technique justement, le B-A BA, est plus accessible que le fait de donner du sens à sa lecture, de lire pour se libérer. Il m’apparaît contre productif de dissocier les deux et on prend le risque d’avoir des classes -comme il m’est arrivé une année avec des CE1- d’élèves que les évaluations nationales qualifieraient de lecteurs alors qu’ils seraient incapables de donner les noms des personnages. J’inclinerais volontiers vers une solution « moyenne » mêlant syllabique et globale, mêlant technique et sens de ce qu’on fait. Le bon sens en un sens.

Re bon, re les élèves qui ont envie, re faut passer à autre chose. Parce qu’en plus, en REP+ et REP, dans les écoles où c’est possible en terme d’espace, les CP et les CE1 sont à 12 depuis peu. C’est bien. C’est mieux que 27 en petite section. « 100% de réussite » a dit le ministre sans préciser -ou je n’ai pas entendu- ce qui se cachait derrière réussite. 100% c’est toujours louche, ça doit vouloir dire qu’il nous fait confiance. 100% c’est impossible en fait. Et puis je me demande si une mesure encore plus efficace n’aurait pas été les Petites Sections à 12 dans les quartiers dits défavorisés. Les gamins que je rencontre cette année en CP ne connaissent pas les lettres, parlent peu français et ne maîtrisent pas les phonèmes même à l’oral. C’est la maternelle qui leur manque, la maternelle « maternante », pas la maternelle à 25. Certes l’école n’est pas encore obligatoire avant 6 ans mais elle doit le devenir, il sera alors temps. Et puis dans le fond, ce n’est pas stigmatiser -même positivement en abaissant les effectifs- les REP qu’il faut faire, c’est mélanger tout le monde. A l’heure où l’on s’effraie que nos enfants ne marchent plus, ne se dépensent plus, passent leur temps devant les écrans, on ferait même d’une pierre deux coups en leur demandant d’effectuer à pinces le trajet un peu allongé maison-école.

Je m’égare un peu, j’en arrive au coup de grâce, les évaluations nationales. Là, c’est la confiance à son paroxysme. Le timing est serré. Tout est prêt, en italique les consignes à dire aux élèves. Des pages de lettres, de dessins, entièrement décontextualisés. Les enseignants ne doivent pas être juges et parties mais c’est quand même les enseignants qui les font passer… or l’enseignant est humain, c’est là son moindre défaut, il ressent, il est sensible, « ne pas aider les élèves », ok. La consigne, comme pour les élèves, est interprétée: tel enseignant ne supporte pas de voir « ses » élèves se planter, va faire refaire, va redire, va suggérer, tel autre va s’en tenir aux consignes stricto sensu, tel autre ne va rien faire passer… le biais est fatal, j’aurais suggéré aux instances décisionnaires de banaliser une journée et de venir eux-mêmes faire passer les évaluations, comme une étude sociologique un peu. Pas de biais, pas de situation bancale pour l’enseignant qui se retrouve face à ses élèves à leur imposer un « travail » auquel il n’adhère pas -et l’on sait l’importance du lien avec l’enseignant dans la réussite des élèves-. A l’heure de l’empathie et de la bienveillance, on peut sourire. Les élèves de CP arrivant à la « grande » école se retrouvent pour la première fois de leur carrière à noircir des feuilles, c’est leur -petit- bac à eux.

Sur le contenu, on veut savoir s’ils connaissent les lettres, s’ils entendent les sons, s’ils connaissent un peu les nombres, s’ils comprennent un texte lu… bref, ce que tous les enseignants font à l’entrée en CP. Partiellement par contre. Sport, musique, pâte à modeler, chant, dessin, coloriage, jeux de société, peinture, anglais, discussions, écriture sont là aussi. Non exhaustifs. Indispensables : savoir écouter, être capable de se concentrer, être précis, développer sa pensée, expliquer sa démarche, rire avec les autres, devenir autonome, se libérer. Soyez rassurés, les enseignants savent faire, les projets débordent. Ce qui a pu gêner certains élèves, c’est pas les lettres, c’est pas l’histoire lue, c’est leur histoire, c’est le jour du pied gauche, c’est l’incapacité à se poser, c’est la colère latente. C’est le travail de l’enseignant de rassurer, de proposer un support adapté, de prendre en compte, d’accompagner. Faudrait nous faire confiance quoi, car de nombreux chemins mènent à Rome. Puis faudrait pas, comme il est écrit sur un mur d’école que « l’école [apprenne] aux loups à se comporter comme des moutons ». Nos enfants sont divers et talentueux, profitons-en avant de s’ennuyer trop fermement.

D.

[1] http://www.education.gouv.fr/cid133383/ensemble-pour-l-ecole-de-la-confiance-annee-scolaire-2018-2019.html

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