Retraites, qui soutient encore la macronie ?

En janvier 2020, nous publiions une tribune en soutien aux grévistes contre la précédente réforme des retraites. Trois ans, une crise sanitaire et une réélection de Macron plus tard, les termes du projet ont changé, mais nous sommes de nouveau confrontés à une offensive du gouvernement sur le même sujet. Si la précédente réforme était déjà largement rejetée par les français, celle-ci fait quasiment l’unanimité contre elle.

Ainsi, nul besoin de développer ici tout l’argumentaire technique pour dénoncer cette réforme inutile, injuste et dogmatique. Personne n’est dupe. Nous avons bien compris que le système de retraite n’était pas en danger, les déficits prévus sont hypothétiques, temporaires et parfaitement absorbables de différentes manières le cas échéant. Les dernières semaines de pédagogie ont été un véritable fiasco et chaque prise de parole d’un représentant du gouvernement n’a fait qu’augmenter la proportion d’opposants à la réforme.

Comme il est difficile de s’y retrouver dans la valse des milliards avancés par les uns et les autres, nous avons publié sur twitter une petite infographie permettant de mieux appréhender quelques ordres de grandeurs :

Comparaison de l’hypothétique besoin de financement du système de retraites avec d’autres grandeurs

Évidemment, tous les défenseurs du gouvernement nous sont tombés dessus pour nous expliquer que ces chiffres n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Et pourtant, les multiples allègements de charges cotisations (CICE pérennisé) n’ont-ils aucun lien avec les déficits supposés du système de retraite ? N’est-ce pas le gouvernement il y a quelques mois qui expliquait qu’il fallait faire des économies sur les retraites pour financer d’autres services publics ? A l’époque il parlait de l’école ou de l’hôpital, il semble finalement que la priorité ait été donnée au réarmement… Quant à l’allègement des « impôts de production » permis par la réforme des retraites, ce n’est pas nous qui l’affirmons mais le gouvernement dans son projet de loi de finance 2023. Jamais l’Etat n’a autant financé les entreprises, jamais celles-ci n’ont versé autant de dividendes, et jamais la fortune des milliardaires n’a augmenté aussi rapidement. Pas de coïncidences ici mais un jeu de vases communicants.

Quand à ceux qui nous ont gentiment expliqué qu’il était idiot de mettre en correspondance des flux et des stocks, on leur rappellera que bien souvent en économie les flux alimentent ou vident des stocks, tout ça est une affaire de tuyauterie. On aimerait qu’ils s’insurgent avec autant de vigueur à chaque fois qu’on exprime la dette de la France (stock) en pourcentage du PIB (flux) ou bien qu’ils aillent faire la leçon aux financiers qui valorisent les entreprises en multiple d’EBITDA.

Ainsi, il ne s’agissait pas de dire que chaque ligne devait être mise à contribution pour financer les retraites, mais surtout de dessiner à gros traits les grandes tendances induites par un Etat au service du capital. Car in fine les choses ne sont pas si indépendantes, des choix sont faits, des priorités sont données, et il faut bien que les travailleurs soient mis à contribution pour financer le quoi-qu’il-en-coûte de préserver les profits. L’objectif est donc de faire des économies sur les retraites afin de financer les baisses d’impôts et autres aides aux entreprises sans contrepartie. Quant au manque à gagner pour les retraités, il devra être comblé par des économies individuelles, soit de la capitalisation, ce qui constitue peut-être une des motivations principales de la réforme, et qui a été judicieusement anticipé par la loi PACTE qui lançait en 2019 le « plan épargne retraite ». C’est un effet en tout cas largement identifié, sans doute fortuitement, par les premiers intéressés…

Une réforme qui ouvre la voie à la retraite par capitalisation ?

Quant à nous, cadres dirigeants dans le privé ou dans l’administration, nous sommes invités à acquiescer aux arguments d’autorité des prétendus experts et à soutenir la soi-disant rationalité économique développée par nos camarades qui travaillent au gouvernement. Et si nous n’étions pas complètement convaincus du bien fondé de cette réforme, il serait de toute façon de bon ton que nous l’acceptions en silence, puisque nous ne sommes pas dans la cible. En effet, ayant prolongé nos études jusqu’à 23 ou 25 ans dans les plus prestigieuses écoles de la République, il n’était de toute façon pas possible pour la plupart d’entre nous de partir à la retraite sans décote avant 65 ans.

Et pourtant, nous cherchons à contribuer à faire échouer une nouvelle fois la stratégie de ce gouvernement.

Car nous sommes de plus en plus nombreux à rejeter le capitalisme et la doxa néolibérale qui l’entoure. Nous n’y voyons plus que dogmatisme et cynisme. Dogmatisme quand certains croient encore qu’un énième allégement de charges sur les entreprises ou d’impôts sur les plus riches conduira à la prospérité de tous. Il faut avoir quitté tout lien avec la réalité et ne tirer aucun bilan des 40 dernières années pour croire encore en de telles fables. Cynisme pour ceux qui ont compris que l’affaiblissement du droit du travail, de l’assurance chômage, du droit à la retraite n’a d’autre objectif que le renforcement de l’ordre social capitaliste. Cynisme encore pour ceux qui, en conscience, affaiblissent les services publics ou le régime de retraites par répartition pour ouvrir la voie à de nouveaux marchés juteux, dont ils espèrent bénéficier d’une manière ou d’une autre.

Infiltrés au sein de la pensée dominante macroniste, nous sommes regroupés en collectif depuis maintenant plusieurs années pour observer, agir et témoigner de l’intérieur. Nous voyons aujourd’hui qu’ils sont fébriles, à court d’arguments, et d’ailleurs nous nous sentons de moins en moins seuls dans nos milieux, de moins en moins « infiltrés » justement, tant leur projet de société se fissure. La sidération face à leur langue déshumanisante s’estompe, les tabous commencent à se lever, y compris dans notre classe sociale. Faisons grève, autant que possible ; donnons aux caisses de solidarité aux grévistes, sinon ; manifestons ; inventons d’autres modes de contestation et disons une bonne fois que nous rejetons cette réforme et son monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *