First week of work

Récit des premières impressions d’un infiltré démarrant un nouveau poste dans un cabinet de conseil parisien, reçu en septembre 2020.


Ayant passé les quelques dernières années de ma vie dans un pays lointain à la fois pour mes études (double diplôme avec une grande école d’ingénieur française) et pour ma première expérience professionnelle, je suis finalement revenu en France, pays dans lequel je souhaite vivre le plus longtemps possible. La semaine dernière aura été l’objet de plusieurs premières pour moi : la vie à Paris, le passage du public au privé, d’un mastodonte à une PME, de la R&D au conseil, devenant de facto quelqu’un qui devrait penser que « faire des slides, c’est bosser » pour reprendre cette citation géniale du patron de VLC !

M’étant initié à la politique, au début de mon long voyage à l’étranger, avec Michel Onfray au moment où il écrivait Cosmos. Il pointait avec justesse les contradictions de la gauche qui avait oublié les classes populaires en se ralliant sans retenue au libéralisme économique. Ces quelques années à l’étranger m’ont permis de me « former » à ce qu’était la gauche (sans négliger la droite pour des raisons d’honnêteté intellectuelle basiques), finissant ces quelques derniers mois par regarder des séries de 5h d’Arte sur le travail ou deux heures d’interview de Jean-Claude Michéa tant tout ceci est passionnant et différent de ce qu’on veut bien nous raconter en général.

Durant cette première semaine à Paris, quelle ne fut pas ma surprise de voir tout ce que j’avais écouté ou lu prendre forme devant moi. Commençons par la paranoïa des propriétaires de logement. Qu’ils se protègent un peu semble de bon sens, mais demander le dossier complet avant même d’avoir eu une date pour visiter l’appartement dépasse toute raison. Le virus n’excuse pas tout et à ce rythme, il faudra dans peu de temps donner la liste de nos partenaires sexuels sur les 20 dernières années pour espérer avoir une réponse à un message de candidature… L’idée de mettre une limite haute à la possession de certains biens (ex : pas plus de deux biens immobiliers par foyer) m’avait jadis traversé l’esprit, cet épisode me conforte sur le fait que cette idée n’est peut-être pas si farfelue. Passons, et revenons-en aux premiers jours de travail.

Au bizutage des flambys lâchés du deuxième étage pour être gobés au rez de chaussée près, l’arrivée dans mon entreprise et l’ambiance sont quasiment identiques à ce que nous avons vécu en école d’ingénieur : regroupement pour l’arrivée, soirées après la journée de travail (afterwork), vacances ensembles (autrement appelés team building), clubs à thème (dégustations, sports, etc…), même les mails internes (couleurs, mise en page et écriture) ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux que le BDE (Bureau des Élèves) envoyait durant notre période estudiantine. On pourra toujours se cacher derrière la liberté ou non de participer à ces événements, dans un souci de sociabilité élémentaire voire de politesse, il est tout de même préférable d’y participer un peu, au début du moins. Car ces événements sont organisés pour rapprocher les personnes et délier les langues (on ne peut plus tout miser sur l’alcool contrairement à l’intégration en école). Pourtant, il est compliqué de dévier des conversations convenues : déjeunant avec mes nouveaux collègues, nous parlions en temps de pandémie de la réaction des populations face aux différents ratés de notre aimable gouvernement. Je m’aventure à dire que les populations auraient peut-être plus confiance dans BigPharma et les vaccins si les États avaient des parts dans les laboratoires pharmaceutiques et qu’ils travaillaient un peu plus ensemble ; je crois même avoir prononcé le mot « nationaliser ». La réponse ne se fit pas attendre de la part d’un jeune diplômé d’HEC : « tu veux que la recherche médicale soit aussi rapide que la SNCF… ». Ma stupéfaction devant cette affirmation gratuite et l’absence notoire de réaction de quiconque m’ont empêché de répondre.

Pour en revenir aux actions mises en place pour intégrer les nouveaux arrivants, le caractère infantilisant (voire « estudiantinisant », si je me permets le barbarisme) de cette démarche est évident. Ajoutons à cela le fait que les journées sont longues et potentiellement fatigantes. Quelle est la fraîcheur de chacun en rentrant à la maison ? Comment peut-on encore lire, étudier, penser, faire de l’introspection, de la méditation, bref, se concentrer ? S’en suit inévitablement une captivité du temps de cerveau disponible de personnes qui ne peuvent même plus prendre le temps de penser ce qu’elles font et (soyons ambitieux) leur condition.

Quant à l’expérience des allées et venues dans Paris, la croisée quotidienne de centaines de visages vides et inexpressifs nous rend aveugles à ceux pour qui la vie Parisienne est un enfer. Je suppose qu’on ne survit qu’en se bâtissant une carapace d’insensibilité à cette violence et à cette misère qui, malheureusement pour des raisons de cohérences et d’équilibre mental, subsiste au moment de penser politiquement les choses et de voter. Cela laisse penser que ces personnes sont hors sol et adoptent un système de pensée qui préserve le mieux leur tranquillité d’esprit.

En bref, tout ceci me laisse assez perplexe, mais ça ne fait qu’une semaine que je suis dans la vie active parisienne mais je sens déjà que les repas et amis de mon ancienne vie vont me manquer. Ces longues discussions où nous nous demandions pourquoi la gauche mitterrandienne avait ratifié l’Acte Unique, ou comment des gens qui prônent plus d’Europe pensent sincèrement pouvoir garantir un alignement des pays, qui font du dumping fiscal éhontément, sur le modèle social français, ou plus récemment, pourquoi madame Buzyn n’était pas encore passée devant la Cour de Justice de la République. Tout ceci va me manquer et j’espère peut-être un jour rencontrer des membres de notre communauté pour en parler.

Pour finir et grâce à l’optimisme que suscite ce site chez moi notre groupe d’infiltrés, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain puisqu’un collègue a proposé sur la messagerie interne de l’entreprise de participer une manifestation en fin d’année – certes sans grand succès. Étant encore en période d’essai et quelques peu couard, je n’ai pas répondu ni demandé s’il y avait des lecteurs de Lordon dans la boîte.

 

2 réponses

  1. JP.Rougier dit :

    Le service militaire m’a fait perdre 16 mois, mais en même temps côtoyer différents milieux. Il faudrait peut-être remettre en place des obligations de travaux d’utilités civiques pour faire redescendre cette élite au niveau du sol.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/2021/03/18/le-rmu-premier-pas-ecologique/

    • M dit :

      Si de mon coté le service militaire n’a durée que dix mois, tout comme vous il m’a fait côtoyer différents milieux venant de toute la France. Coiffeur Ch’ti, paysan ardennais, titi parisien, ingénieur alsacien etc.

      Cette expérience s’est renouvelée cette année. Après un début de carrière réussie et très (très) ennuyeuse (merci meeting, slides, reporting, process…), j’ai décidé de tout arrêter (sans rupture conventionnelle) pour reprendre mes études. Un CAP ! Etonnement dans mon cercle amical et professionnel. Ricanements dans mon dos.

      Bilan à quatre semaines de la fin de ma formation.
      Tout le monde n’est pas 2.0, avoir une connexion internet ET un ordinateur digne de ce nom ET savoir s’en servir n’est pas chose naturelle.
      Il y a des gens biens qui sont à un euro près et pour qui manger une formule sandwich d’une vraie boulangerie au déjeuner est un luxe. Vraiment un luxe.
      L’intelligence ne se mesure pas à la capacité à ânonner le catéchisme des Chicago boys ou à réciter le code de commerce. Savoir utiliser des outils avec agilité, ordonnancer et exécuter différentes techniques me paraissent d’une complexité intellectuelle équivalente.
      Les relations humaines sont beaucoup plus saines dans un atelier que dans un open space. Qui se souvient d’avoir été aidé spontanément par plusieurs collègues pour faire face à une difficulté ? Qui se souvient d’être allé soutenir ses voisins de bureau ? Ça rassure sur le fond de notre espèce.
      En France, il existe un système éducatif où les enseignants s’assurent que tout le monde ait la tête hors de l’eau, que tout le monde comprenne ce qu’on lui explique, que tout le monde ait confiance en ses capacités. De l’altruisme au quotidien si loin de la compétition malsaine des prépa ou des docteurs dépourvus de la moindre capacité pédagogique.
      La France a perdu des compétences techniques basiques ET stratégiques pour un pays qui se veut être une grande puissance. Tout ces savoir-faire sont regardés avec mépris par les veaux d’en haut. Mais si plus personne ne sait forger, chaudronner, coudre, couper, usiner, tailler, peindre… ces virtuoses de Powerpoint, ces Mozart d’Excel, ces génies du brain storming et autres cross knowledge management seront des généraux sans armée.

      Conclusion, vivre cinq jours par semaine le quotidien d’une autre classe sociale est une expérience incroyable. La raison principale est qu’elle permet de se débarrasser des lunettes avec lesquelles on observe les moins favorisés pour voir enfin clair, pour tuer les fantasmes et les pré-jugés que l’on a. Cela permet simplement d’appréhender la réalité. Une tranche de vie que nos élites obligatoirement devraient vivre avant de pouvoir nous diriger.

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