En 2022, renversons la table

L’élection présidentielle de 2022 se rapproche à grands pas, commence à occuper les esprits et les débats, et l’on ne peut pas dire que la perspective soit réjouissante à gauche. Les débats portent principalement sur le sujet de l’union entre partis, sur des querelles de personnes, le fond passe au second plan et l’on sent bien que la probabilité d’une nouvelle défaite est forte. C’est en tout cas la crainte exprimée par un camarade Infiltré, qui met également en débat une proposition étonnante. Celle-ci soulève beaucoup de questions, mais nous partageons a minima avec l’auteur l’idée qu’il va falloir faire preuve d’imagination pour déjouer un scénario écrit d’avance.


Fin mai 2022 : le président Macron nomme son troisième Premier ministre depuis 2017. Bien qu’ayant rassemblé moins de 20% des suffrages au premier tour, il a été élu au second tour face à Marine le Pen. La marge est bien moins confortable que cinq ans auparavant, l’abstention bat des records. Mais peu importe, le deuxième quinquennat est assuré, le CAC40 offre le champagne. Le piège à cons de l’élection présidentielle s’est refermé sur le même électorat qu’en 2017. Bis repetita, trop facile. Depuis un an et demi, médias médiocres, éditorialistes stipendiés et autres spécialistes autoproclamés effrayaient les bonnes âmes avec la perspective de l’élection à la présidence de la République de la candidate du Rassemblement national. Les titres annonciateurs – « Et si c’était elle… », « Une dédiabolisée à l’Elysée », « Les gars de la Marine » – annonçaient tour à tour la possibilité, l’inéluctabilité ou les équipes en préparation du nouveau pouvoir. La France s’apprêtait à basculer à l’extrême-droite pour la première fois depuis 1944. Mais comme toute bonne apocalypse annoncée, elle venait avec son sauveur et sa possibilité de rédemption. Il ne restait donc que Lui. Certes, « du bout des doigts et en se pinçant le nez », disaient les socio-libéraux avec un air faussement contrit. « Avec résignation mais dans une perspective d’union nationale », se pâmaient mollement les centristes. « Dans le regret mais sans remords, puisqu’il faisait bien le boulot à notre place » entendait-on à droite. Et donc malgré tout, malgré la casse sociale, la tension civile, l’effondrement de la recherche, la privatisation des retraites, la précarisation du chômage, la déstabilisation du système de santé, la perdition de l’éducation nationale, la misère de la justice, la vacuité environnementale, les rodomontades diplomatiques, la mercenarisation de la défense, malgré tout cela, menace fasciste brandie, mânes de Jean Moulin invoquées, litanies plusjamaisça-esques psalmodiées, muses de la République soudoyées, le bon peuple s’en était allé choisir sans choix et prolonger le monarque. Singulier XXIème siècle français, riche d’occurrences bonapartistes.

Fin mai 2022. A gauche – du moins celle qui n’avait jamais accepté la pratique ou l’héritage de la présidence Hollande – les lamentations convenues alternaient avec les invectives personnelles. C’était un juste écho de la campagne. Non sans raison mais suscitant trop d’agacement, Mélenchon prétendait incarner la Montagne à lui seul ; or comme il est bien connu, elle ne daignait aller à personne, et peu de monde venait à elle. Ruffin se refusait à passer du brouillon de ses intuitions géniales au projet de perspectives institutionnelles, Autain s’abimait dans la coordination démocratique-solidair.e-et-concertée(s) des émiettés tellement incontournables de la gauche de la gauche. Les communistes, par la force des choses et la faiblesse du nombre, avaient fondu du glacis stalinien à la stratégie foquiste, tirant de tous côtés pour le plaisir de nuire sans le moindre espoir de résultat. Jadot, n’ayant finalement pu obtenir son marroquin sous Macron Ier, passait son aigreur et son ego sur tout ce qui était sur sa gauche – et cela faisait beaucoup de suppôts de Poutine et de Maduro – croyait encore que les écologistes avaient le monopole de l’écologie, en évitant de se positionner sur tout ce qui était sur sa droite – et cela faisait beaucoup de sujets de doute. Quant aux apparatchiks du PS, et bien… le PS et ses apparatchiks, rien n’avait véritablement changé à part le titre pour l’occasion, ReGénération Nouveau Monde. Tout ce petit monde avait gratté de-ci de-là quelques points de pourcentage, qui renforcés des abstentionnistes rebutés par cette division auraient pu porter une candidature au second tour et changer durablement la donne. Mais entre ceux imprégnés d’un destin historique et ceux habités par la lutte des places, nul n’avait su concéder son intérêt particulier à l’intérêt général. Et c’était donc reparti pour cinq années de macronnards.

Ces quelques lignes de politique fiction ont malheureusement un fort goût de réalisme. Elles ne se veulent certainement pas prédictives, car on sait qu’en politique, les dix-huit mois qui nous séparent de l’élection présidentielle de 2022 sont porteurs d’une multitude d’imprévus. Néanmoins, au vu des expériences passées et de la situation actuelle, le scénario de voir la gauche se fracasser sur le récif de l’élection présidentielle n’est pas improbable, bien au contraire. La logique présidentialiste de la cinquième République est défavorable au camp du changement et la configuration politique et sociale actuelle ne la favorise pas non plus.

C’est la raison pour laquelle le camp de gauche doit boycotter l’élection présidentielle de 2022.

 

Oui, boycotter. Refuser de participer à la dorure démocratique d’un système monarchique à bout de souffle, épuisé et épuisant. Echapper au piège de la guerre des egos, de cette campagne mortifère où l’on tape plus sur le voisin que sur l’adversaire, où l’on se glorifie en début de semaine du sondage bidon qui vous a donné un point de plus que la semaine passée. Mais aussi échapper au piège des éditos, que l’on pressent déjà sales – voyez ce que les plateaux télés ramassent déjà dans le caniveau pour animer leurs faux débats. Et donc boycotter, en prenant l’engagement public et commun, de Poutou à Hamon, de ne pas se présenter à l’élection présidentielle, de ne pas chercher les 500 signatures. Désarmer la machine infernale, pour la sécurité collective de la gauche. Crosses en l’air. Ni participation de candidats, ni participation électorale – quoiqu’au fond, les électeurs de gauche feront bien ce qu’ils voudront. Laissons seuls le droitier Manu, sa droite émiettée et son extrême-droite. Ignorons-le. C’est le regard de ses adversaires qui l’habille. Révélons le roi nu.

 

Alors évidemment deux questions se posent immédiatement : faut-il laisser Marine & Manu en face à face ? Et cela signifie-t-il qu’on renonce à prendre le pouvoir ?

Le premier sujet est sensible, notamment quand on se souvient des condamnations au sein de notre propre camp en 2017. Émettre alors l’idée qu’on n’allait pas voter Manu contre Marine, c’était, pour résumer grossièrement mais en exagérant à peine, être un allié objectif du fascisme, fournir la boîte d’allumettes du Reichstag ou charger le fusil de Pinochet. Voire donner carte blanche à l’aile nauséabonde de la police pour la répression du corps social. On a vu ce qu’il est advenu – en espérant que la leçon soit comprise. Ce système tient sur un chantage affectif à la démocratie : les gouvernants des trente dernières années jouent aux premiers de la classe de la mondialisation, distribuent la richesse nationale à leurs copains et cassent le corps social. Quand le boomerang menace de leur revenir dans les dents, ce ne sont que cris d’orfraies dans toutes les rédactions « Démocratie ! No pasarán ! Bête immonde ! Au secours ». Une fois l’émotion passée et l’élection acquise, on prend les mêmes et on recommence. Le FN/RN est l’assurance tout-risque de ces gouvernements. Soyons clairs : Manu, ce n’est pas Marine ; et Marine c’est pire que Manu. Mais ne soyons plus les idiots utiles. Manu s’amuse, persuadé qu’en 2022, une fois arrivé premier de son camp – la droite – et face à la dispersion de la gauche, le repoussoir Marine prolongera son règne. Et bien laissons Manu s’amuser seul et récolter ce qu’il a semé. Que l’immonde bêtise dompte la bête immonde toute seule.

Le deuxième sujet est plus intéressant : boycotter, ce serait renoncer à la transformation du pays à la lumière des transitions sociales et environnementales que nous attendons ? Au contraire. Il faut jouer dès maintenant le coup d’après. Que les mêmes qui renoncent tous ensemble à cette course truquée et perdante de l’élection présidentielle, s’entendent sur un socle de gouvernement. Il existe de vraies divergences, comme sur l’Europe, auxquelles il faudra de toute façon un jour s’atteler, ensemble. Et que tous concentrent tous leurs efforts dès le premier jour de campagne sur le résultat des élections législatives. Cela permettrait de dégonfler les questions de personnes, de partager les estrades, de ne pas s’user dans les sondages, de se focaliser sur les choix de société, de renforcer le programme des cinq années à venir. Objectif : obtenir une majorité de gouvernement. Forcer le ou la locataire de l’Elysée, dès le premier jour de ce nouveau mandat, à une cohabitation avec un gouvernement de gauche. Prendre cet élan en commun assez tôt pour renverser l’effet majoritaire de l’après-présidentielle, ce d’autant plus que l’élu-e de 2022 sera très minoritaire dans le pays. Certes il restera la question du choix de la Première ministre, mais ce ne sont pas les solutions qui manquent pour départager les concurrents et constituer un gouvernement multicolore. Au prix de quelques grincements de dents peut-être, mais rien qui n’ait l’ampleur de l’autodestruction que nous promet la campagne actuelle.

 

La gauche n’a rien à gagner dans le système de 2022. Les conditions du Grand soir, de la révolution citoyenne, orange ou violette ou verte, ou encore de la Constituante ne sont à l’heure actuelle pas réunies et rien n’indique qu’elles le seront dans les prochaines années. Or le temps passe et le pays s’enfonce dans un lent cauchemar entre Bouvard, Pécuchet, Thatcher et Zemmour. Il faut sortir de cette boîte. Il n’y a aucune garantie de succès à essayer, mais il y a une garantie d’échec à persister dans l’erreur. Prenons nos responsabilités, renversons la table et boycottons l’élection présidentielle de 2022.

 

 

2 réponses

  1. Mohamed dit :

    Le boycott est le dernier moyen pacifique qui nous reste: donc je ne peux que valider cette initiative. Toutefois, attendre que les « candidats » s’engagent par eux même dans cette initiative me semble illusoire: il y en aura toujours un pour servir de caution. Et combien même nous réussirions à convaincre les politiques de se retirer, ils iront chercher un candidat de la « société civile » #Pulvar ou un syndicaliste #Berger pour porter le costume.
    Pourquoi pas une pétition? Signée par le plus grand nombre, avant même le déroulement de l’élection, elle permettrait de dire simplement que quel que soit le candidat qui sortira vainqueur de The Voice, les signataires ne lui reconnaitront aucune légitimité pour gouverner?

  2. azou dit :

    Bof, si la gauche veut proposer un projet électoral progressiste et majoritaire, il faut qu’elle mise sur le ou les RIC au moins à échelle locale, les sujets sociaux (retraite, santé notamment), des barrières écologiques et sociales à un libre-échange sans foi ni loi et qu’elle arrête de s’enferrer les pédales sur l’intégrisme musulman qui grandit depuis les années 90. Elle aura 60% de la population.
    Tant qu’elle ne fera pas ça et qu’elle restera sur les sujets de genre, LGBT, etc., elle restera minoritaire et on aura toujours une mascarade ED/ED à l’élection présidentielle avec destruction de la société en prime.
    Sinon, oui, remporter les législatives serait une option mais si le programme est creux, ça ne changera rien.

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